Les barbelés du camp de La Lande

Les premiers camps d’internement français n’ont pas été créés par les Allemands, ni même par le gouvernement de Vichy, mais par la République française.

Depuis le début des années 1930, il régnait en France un climat xénophobe et antisémite. Ce climat était provoqué par l’afflux d’émigrés fuyant l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie.

En mai 1938 le gouvernement Daladier promet par décret des peines de prison importantes à ceux qui franchissent illégalement la frontière ou à ceux qui restent en France malgré le retrait de leur autorisation de séjour.

En janvier 1939, dans le sud-ouest de la France un camp fut créé à Rieucros en Lozère, pour accueillir des étrangers suspects.

A  Gurs dans le département des Basses-Pyrénées, fut érigé en quelques semaines  au printemps 1939 un camp pour les Républicains espagnols fuyant les armées franquistes.

Après l'avènement d'Adolf Hitler au pouvoir, des milliers d'Allemands et d'Autrichiens hostiles au nazisme - dont deux tiers de Juifs - se réfugièrent en France. Cette population fut soumise à une surveillance spéciale permanente dans l'intérêt de l'ordre ou de la sécurité publique. Ces ressortissants du Reich furent internés dans une cinquantaine de lieux prévus à cet effet.

Entre févier 1939, date de l'ouverture du premier camp d'internement administratif, et mai 1946 date de la fermeture du dernier, quelque 600 000 personnes se sont retrouvées enfermées non pas pour des délits ou des crimes qu'elles auraient commis mais pour le danger potentiel qu'elles représenteraient pour l'Etat et/ou la société.

Les camps d’Internement en Indre-et-Loire

Trois camps d’Internement ont été construits  dans le département d’Indre-et-Loire : - le camp de la Morellerie à Avrillé-les-Ponceaux où furent internés des Tsiganes  et des communistes – le camp de la Haute-Barde à Beaumont-la- Ronce où fut internée une population homogène : les communistes - le camp de la Lande situé sur la commune de Monts le plus important par le nombre d’internés qu’il a abrités.

Le camp de la Lande

A la fin de 1939 l’administration militaire française a acheté un terrain  situé à 2,5 km du bourg de Monts. Vingt-six bâtiments ont été construits afin d’héberger du personnel supplémentaire pour la poudrerie du Ripault.

Mais en juin 1940, les lieux n’étaient pas occupés.  Les allemands trouvèrent cet endroit très commode (à 16km de Tours,  tout près de la gare de Monts) , et de ce fait décidèrent de l’utiliser pour y installer  un centre  d’accueil qui se transformera en camp d’internement.

La superficie du camp était d’environ 7ha où l’on trouvait un bâtiment pour la cuisine, deux bâtiments de réserve et 23 bâtiments d’habitation. Un château d’eau se dressait au centre du camp.

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Situation géographique du camp de La Lande

 

Plan du camp de La Lande

Le centre d’accueil devient un camp d’internement

Fin 1940, début 1941, La Lande accueille des réfugiés, français ou étrangers provenant des rafles  exécutées par les Allemands dans les grandes villes de l’ouest.

En même temps arrive à La Lande un groupe de  réfugiés venant  du Centre de Langeais ouvert le 2 septembre 1940. Ce groupe était composé de 61 étrangers (Polonais, Allemands, Belges et Anglais).

Début décembre 1940, ce sont deux convois qui amènent à Monts 600 à 700 personnes principalement d’origine polonaise, en majorité des Juifs. Ces réfugiés habitaient dans le nord-est de la France autour de Nancy, Metz, Strasbourg. A cause des hostilités ils se réfugièrent en Gironde vers mai 1940.

Après le décret du 18 octobre 1940 dont l’article 1 stipulait « Les ressortissants étrangers de race juive pourront, à dater de la promulgation de la présente loi, être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence», les familles juives reçurent une convocation émanant de la Préfecture de Bordeaux.

Fin novembre 1940, sur ordre du Préfet de région et suite à une décision des autorités allemandes, les familles juives furent expulsées de la zone côtière et durent se rendre à l’aube du 1er décembre à la gare de Bordeaux avec quelques bagages en vue de leur transfert au camp de La Lande. Environ 450 personnes, hommes, femmes, enfants, une fois arrivés à la gare de Monts, regagnèrent  le camp de La Lande à pied. On les recensa par nationalité et religion, puis les familles se regroupèrent avec leurs valises et leurs biens les plus précieux.

Au début le camp fut considéré comme un simple camp d’accueil. Il n’était pas entouré de barbelés et les internés astreints qu’à un pointage journalier pouvaient sortir librement du camp à condition de ne pas dépasser le territoire de la commune. 

Certains étaient même autorisés, soit pour raison de santé ou autre motif,  à vivre en dehors du camp. Certaines personnes purent habiter chez des particuliers dans les communes avoisinantes afin de diminuer le nombre d’internés du camp qui se révéla trop petit.

Le camp était sous administration française, avec un directeur français. L’appel quotidien au camp avait toujours lieu sous la surveillance de deux gendarmes.

A la demande du Préfet, les Autorités d’occupation ont proclamé le 2 octobre 1941 une nouvelle ordonnance visant au renforcement de la surveillance du camp.

Les internés sont assignés à résidence dans le camp. Celui-ci va être entouré à partir de novembre 1941 d’un triple réseau de fils de fer barbelés venant du camp de la Morellerie. Le camp fut dès lors hermétiquement clos. Le 5 janvier 1942, La Lande devint un camp d’internement pour Israélites.

 

Histoire des camps d'internement en Indre-et-Loire. Sophie Paisot-Béal-Roger Prévost 1940-1944

 

Histoire des camps d'internement en Indre-et-Loire. Sophie Paisot-Béal-Roger Prévost 1940-1944

 

Histoire des camps d'internement en Indre-et-Loire. Sophie Paisot-Béal-Roger Prévost 1940-1944

 

Dessin d'un détenu - Livret Histoire du camp de La Lande. Mairie de Monts 1940-1944

Témoignage de Huguette Rapetti-Engler (Patriote Résistant -Janvier 1987)

Consignes concernant le régime des internés du camp de La Lande. (Archives départementales d'Indre-et-Loire, 120 W 15).

Le rabbin Moîse Kalhenberg de Metz était le guide spirituel de ces détenus. Il anime la vie juive. Il établit une synagogue, une école. Des garçons célébrèrent leur Bar-Mitzvah.

Histoire du camp de La Lande. Mairie de Monts. Archives Danièle Bouhoudin St Pierre-des-Corps

Les 15-16 juillet 1942 à Tours, des rafles allemandes se déroulent rue du Commerce, rue de la Scellerie, rue Colbert. Munis de listes de recensement établies par les soins du préfet collaborateur Tracou, les allemands interviennent avec cruauté et cynisme et conduisent environ 200 personnes  par cars direction l’Ecole normale de filles à St Symphorien, la prison de Tours et l’école Michelet : les enfants arrachés à leurs mères, les vieillards  de 80 ans, des enfants de 3 mois, des femmes enceintes

Ils sont ensuite rapidement transférés au camp de La Lande.

La famille Wanjtreter de St Pierre-des-Corps internée au camp de La Lande

La famille est arrêtée à Tours  le 16 juillet 1942 parce que juifs et internée au Camp de La Lande le 17 juillet.

Nous vous renvoyons à l’article sur la famille Wanjtreter paru dernièrement dans notre blog :

http://adirp37-41.over-blog.com/2019/05/la-famille-wanjtreter-une-famille-d-immigres-polonais-aneantie-par-l-antisemitisme-nazi.html

Courant juillet  1942, 133 Juifs valides (hommes et femmes) furent déportés vers Auschwitz  via Angers.

Le 4 septembre 1942, 422 Juifs (adultes) furent déportés via Drancy.

Le 21 septembre 101 femmes et enfants partirent également pour Drancy et, deux jours plus tard, pour Auschwitz.

Le 1er octobre 1942, le camp est vidé de ses derniers occupants.

Après ce qu’il faut appeler l’élimination des juifs, le camp est classé en troisième catégorie, pouvant recevoir « des individus internés à la demande des autorités d’occupation et des personnes internées administrativement, français ou étrangers, sur ordre des autorités françaises »

La Lande devient un camp d’internement pour femmes

Le 20 octobre 1942, le camp devient un camp d’internement pour femmes, en grande majorité des  « politiques », syndicalistes, militantes communistes, ou femmes de militants et résistantes..

Parmi les détenues communistes, l’une d'entre elles fut exécutée, elle avait été dénoncée comme juive par une infirmière française.

Le 2 octobre arrivent au camp des 227 femmes venant des Tourelles (prison parisienne), le 4 octobre 31 femmes et 2 enfants venant de Pithiviers.

Il y aura également quelques militantes isolées arrêtées à Tours.

Puis, en janvier et février 1943, 140 détenues arriveront de Gaillon (Eure). Ce sont pour la plupart des résistantes.

Il y aura aussi des détenues de droit commun et de marché noir (une soixantaine) et des prostituées (40 environ).

Fin août 1943, suite à une manifestation contre la nourriture infecte, 35 « fortes têtes » furent envoyées à Mérignac.

Le 14 septembre 1943, les étrangers du camp furent transférés ainsi que les enfants, et les prostituées au camp de  Jargeau dans le Loiret.

Le 18 décembre, certaines internées sont envoyées à Rouillé dans la Vienne.

Le 20 décembre, 4 internées juives sont conduites à Drancy.

Le 15 janvier 1944, après divers prélèvements de la Gestapo, et alors qu'il ne reste que 186 prisonnières, elles sont acheminées au camp de la route de Limoges, à Poitiers. Elles finiront pour la plupart à rejoindre la Résistance.

Histoire des camps d'internement en Indre-et-Loire. Sophie Paisot-Béal-Roger Prévost 1940-1944

La disparition du camp de La Lande

L'endroit fut rasé en 1970. On y bâtit un coquet quartier pavillonnaire et un terrain de sport. Une première plaque a été apposée en 1988. Sur cette plaque a été écrit « En mémoire des victimes de la haine raciale et politique, internées en ce lieu, de 1940 à 1944 ». Une deuxième plaque sera ensuite.ajoutée.

Discours prononcé par Jacqeline Derrien internée au camp de La Lande lors de la pose de la première plaque le 12 octobre 1988.

 

 

Archives Danièle Bouhourdin - St Pierre-des-Corps
Photo Archives Danèle Bouhourdin - St Pierre-des-Corps

 

La stèle du camp de La Lande de nos jours

Depuis chaque année le jour de la journée de la Déportation, la Ville de Monts et la communauté juive rendent hommage à l'ensemble des internés hommes et femmes du camp de La Lande.

Articles parus dans la Nouvelle République

Article NR - Archives Danèle Bouhourdin - St Pierre-des-Corps

 

Article NR - Archives Danèle Bouhourdin - St Pierre-des-Corps

 

Article NR - Archives Danèle Bouhourdin - St Pierre-des-Corps

 

Article NR - Archives Danèle Bouhourdin - St Pierre-des-Corps

Sources :

Histoire des camps d'internement en Indre-et-Loire. Sophie Paisot-Béal - Roger Prévost. 1940 -1944.

Archives  Danièle Bouhourdin St-Pierre-des-Corps.

ADIRP 37-41

Courriel : www.adirp.37@orange.fr

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