Jean Soury, figure  de la Résistance, a été fait chevalier de la Légion d’honneur le 10 octobre 2020, lors d’une émouvante cérémonie à la salle des fêtes de Saint-Pierre-des-Corps en présence des autorités civiles et militaires, des associations patriotiques et d’amis en nombre restreint en raison des directives sanitaires liées à la lutte contre la Covid 19. Le moment de convivialité réservé au vin d’honneur a d’ailleurs été annulé.

Une vue de l’assistance ce 10 octobre 2020

Monsieur Mikaël Chapeau, adjoint à la culture et aux animations socio-culturelles, représentait Monsieur le maire de Saint-Pierre-des-Corps. Dans son discours il a rappelé l’histoire de la Légion d’honneur et salué la  nomination de Jean Soury, plus que méritée en raison de son patriotisme et de ses combats en faveur de la Résistance.

 

Monsieur Mikaël Chapeau représentant le maire de St-Pierre-des-Corps

Deux membres du bureau départemental de l’ANACR 37 (Association Nationale des Anciens Combattants et amis de la Résistance), Jacques Ducol et Jean-Maurice Pialeport, ont respectivement présenté les différentes personnalités puis retracé le parcours de Jean Soury, figure emblématique de la commune en raison de ses engagements politiques et sociaux, ainsi que de son implication auprès des jeunes collégiens et lycéens pour les inciter à participer au travail de mémoire.

Jean Soury est rentré dans la Résistance à l’âge de 15 ans, a adhéré à l’ANACR lors de sa création au Congrès de Limoges en mai 1954,  et  est toujours, à l’âge de 93 ans, président départemental de l’association et rédacteur de son journal « Résistants de Touraine ».

 

Moment fort de la cérémonie : l’intervention de Jacques Marsaud

Monsieur Jacques Marsaud

Il me revient de prendre la parole pour remettre officiellement à Jean Soury, comme il me l’a demandé, les insignes de Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur.

Je le fais avec grand plaisir, émotion et humilité.

C’est en effet pour moi un grand plaisir de retrouver Jean dans cette circonstance, toujours aussi vaillant, passionné et passionnant, presque cinquante ans après avoir partagé avec lui le même lieu de travail dans le petit pavillon de la rue Henri Barbusse. J’avais alors vingt ans, et ce fut mon premier collègue de travail.

C’est aussi une réelle émotion de me retrouver dans cette mairie qui m’a permis de faire mes premiers pas professionnels auprès de Jacques Gozard et de Jacques Vigier, mais aussi déjà de Marie France Beaufils, là où j’ai attrapé le virus de l’action et de la fonction publiques territoriales, m’ouvrant la porte d’une carrière professionnelle passionnante, et m’offrant le privilège aujourd’hui de remettre la Légion d’honneur à Jean Soury.

Je le fais avec émotion, mais aussi avec respect et humilité. Quand Jean Soury m’a sollicité, il expliquera pourquoi, j’ai franchement douté de la légitimité qui pouvait être la mienne pour remettre la Légion d’Honneur à un héros de la résistance, moi qui ne suis né que cinq ans après la fin de cette histoire, et qui n’ai fait de guerre que celle, bien modestement, de mai - juin 68. Pour me rendre aux arguments de Jean, j’ai tenté de bâtir cette légitimité sur notre collaboration professionnelle dans cette ville de Saint Pierre des Corps, ses enseignements précieux, l’héritage politique, mon état de fils de résistant, et sur l’admiration que je porte au courage de ces combattants de l’ombre qui ont redonné à la France sa liberté et sa dignité.

Ayant donc reçu du Grand Chancelier de la Légion d’honneur, en date du 9 mars 2020, délégation de pouvoir pour te recevoir dans l’ordre, il m’appartient au préalable de rappeler ici les aspects marquants de ta vie, ainsi que tes états de service qui te valent aujourd’hui de recevoir enfin la plus haute distinction de la République.

Jean Soury est né le 11 février 1927 à Saint Maurice des Lions, grand foyer de résistance d’ailleurs, dans le département de la Charente. Son père est garde-chasse, et sa mère est femme au foyer. Victime d’un accident du travail, le père de Jean est hospitalisé et se retrouve plusieurs années sans travail. C’est une période difficile pendant laquelle Jean passe de famille en famille avant de retrouver ses parents à Limoges en 1936. Le père, qui a suivi une formation, est nommé en 1938 secrétaire de Mairie à Compreignac dans le département de la Haute Vienne, avant de se retrouver deux ans plus tard de nouveau au chômage après son licenciement par l’administration de Vichy.

Jean a donc 12 ans quand éclate la guerre. Après le licenciement de son père, la vie de famille devient difficile, il faut supprimer une bouche à nourrir à la maison, c’est alors qu’il devient domestique dans une ferme à la fin de 1940. Il a 15 ans quand le Limousin, et Compreignac, jusqu’alors en zone libre, sont occupés par les Allemands. C’est à cette époque qu’il apprend que son père est devenu un des responsables de la résistance locale dès le début de l’année 1941. C’est en le mettant dans la confidence d’une cache d’arme qu’il lui révèle le secret en lui permettant à son tour d’entrer dans la résistance. Son jeune âge fera de lui un précieux agent de liaison et non moins précieux diffuseur de tracts et de journaux clandestins contre l’occupant nazi et ses complices de Vichy, « le jour dans la légalité, la nuit dans la clandestinité ». Dans la perspective du débarquement des forces alliées, il convient d’intensifier la lutte armée contre l’occupant. Jean et son père décident alors d’entrer dans la clandestinité et de rejoindre le maquis le 1er juin 1944. « Le Brousailleur », puisque c’est désormais son nom, est incorporé dans la 2401ème compagnie des Francs-Tireurs et Partisans. Quelques jours après, le 10 juin 1944, envoyé en reconnaissance par le responsable de sa compagnie, il sera l’un des tout premiers à entrer dans le village martyr d’Oradour sur Glane, juste après sa destruction par les flammes et le massacre de tous ses habitants. Dans les semaines qui vont suivre, Le Broussailleur va participer à différentes actions et à tous les combats menés par la 2401ème Cie tel que l’atteste, en partie le certificat officiel retraçant ses services et faits d’armes, dont je veux vous donner lecture :

Jean est entré dans la Résistance armée d’une façon active et permanente à partir de juin 1942 et dans laquelle il a eu l’activité suivante :

- Participation au recrutement et au camouflage d’armes à partir de juin 1942. 

- Agent de liaison entre le maquis et les groupes locaux de Résistance.

- Distribution de tracts et journaux clandestins.

- Récupération d’armes ayant appartenu à des maquisards cantonnés dans les bois de Palutras, Cne de Compreignac, et abandonnées par ces derniers sur attaque de G.M.R. le 8 février 1944.

Il est entré dans le maquis le 1er juin 1944 à la 2401ème  Compagnie F.T.P.F. 4ème bataillon, 1er régiment BERNARD des Charentes, sous-secteur D. R5. D4, stationnée à Compreignac, et a pris part à toutes les batailles de la Compagnie :

Nantiat, 21 juin 1944 – St-Victurnien, près d’Oradour, 27 juin 1944 – St-Gence, 28 juin 1944 – Beaunes-les-Mines, juillet 1944 – Blond, 6-7-8-9 août 1944 – Aix-sur-Vienne, 16 et 17 août 1944, ainsi qu’aux libérations de Limoges (Haute-Vienne), 21 août 1944 et Angoulême (Charente), le 1er septembre 1944.

Jean a également combattu sur le front de ROYAN aux lieux-dits : Saujon, Le-Chai, La-Traverserie, Château de Didonne, Cne de Semussac, où il a été blessé par balle à la jambe gauche le 26 septembre 1944 au cours d’une patrouille.

Evacué sur l’hôpital de Saintes puis sur celui de Cognac, il n’a pas signé son engagement pour la durée de la guerre. Il a donc été démobilisé le 31 octobre 1944 à Angoulême. Il faisait partie à cette date du 107ème  R.I. 12ème Cie 4ème  bataillon.

Jean a connu sur le front de Royan des conditions de vie très difficiles et dangereuses, le rapport des forces en présence était trop inégal. Plutôt que de s’étendre sur le sujet, Jean cite un témoignage d’un historien, Dominique LORMIER, qui, dans son livre, LES POCHES DE L’ATLANTIQUE, concernant la POCHE DE ROYAN, écrit ceci :

« Les FFI du front de l’Atlantique, dont celui de ROYAN, portent généralement l’uniforme français de 1940, complété rarement d’éléments anglais ou américains.

      Certains maquisards arrivent en short et en sandales, sans capote, sans souliers solides. Ils devront tenir les avant-postes par tous les temps : pluie, boue, neige, inondation. Ils le feront en plus avec un armement de fortune.»

      En lisant ceci, chers amis, vous comprendrez pourquoi très peu des hommes de la 2401ème Cie et Jean lui-même se sont engagés pour la durée de la guerre.

      Dans le même document on peut lire : « Les soldats du général de LARMINAT ont la difficile mission de tenir un front du sud-ouest d’environ 100 km, sans avoir les moyens de soutenir une bataille rangée.

      Ils aménagent alors des positions défensives : tranchées, casemates en rondins, abris souterrains, lignes de barbelés. L’ensemble fait cependant triste figure face aux ouvrages bétonnés et aux champs de mines des Allemands. »

      Il faut préciser qu’en application du décret pris le 19 septembre 1944, pour s’engager dans l’armée française métropolitaine pour la durée de la guerre, il fallait dorénavant être âgé de 18 ans au moins et de 35 ans au plus au 1er octobre 1944. Or, Jean n’avait pas encore 18 ans.

      Je pense qu’il était nécessaire d’apporter ces éléments de la vie miliaire de Jean.

      Faut-il encore préciser que Jean faisait partie des Forces Françaises de l’Ouest que les hommes préféraient appeler Forces Françaises Oubliées vu les conditions difficiles dans lesquelles ils se trouvaient.

      Comme nous venons de le voir, Jean n’aura pas passé l’hiver sur le front, il aura été démobilisé avant. Ce fut une chance pour lui.

C’est dans le maquis, le 10 Aout 1944, qu’il adhère au Parti Communiste Français dont il deviendra et restera un militant actif, et au sein duquel il exercera d’importantes responsabilités.

A la fin de la guerre, Jean Soury va exercer divers métiers : bûcheron à Compreignac, tourneur dans une usine d’armement à Limoges, l’entreprise De-Ris, puis, ouvrier dans la porcelaine au sein de l’entreprise Robert Havilland. Après avoir été licencié pour cause de grève et d’activité politique, il est sans travail. C’est à ce moment-là qu’il est rappelé à l’activité militaire le 16 décembre 1947 à la 602ème  Cie magasin, à Neuvy-Pailloux près de Châteauroux. Alors qu’il se trouve dans l’Indre, ses parents ainsi que le voisinage sont surpris de voir les gendarmes à la recherche de Jean. Il est porté déserteur par son régiment, le 5ème  Chasseur d’Afrique, dans lequel il a fait ses classes quelques mois plus tôt. Cela nécessite quelques commentaires que Jean ne souhaite pas traiter ici, il aura fait 5 mois de rab. Revenu de l’armée fin avril 1948, toujours sans travail, il a l’opportunité d’entrer faire un stage en plâtrerie – seule place restant disponible – au centre de formation professionnelle des adultes de Limoges d’où il sort fin 1948 avec le CAP de plâtrier. Il va exercer ce métier sur différents grands chantiers, tels que la rénovation de l’arsenal de Limoges, et surtout, à partir de 1949, la construction du nouveau village d’Oradour. La cantinière est jolie et bien agréable, elle s’appelle Hélène. Il l’épousera en 1950, à Oradour, mariage qui donnera très vite naissance à des jumeaux, Jean Claude et Jean Louis, suivis de Danielle, de Christian et de Martine.                                                                   

En 1954, il passe le concours pour devenir formateur en bâtiment à l’AFPA. Reçu, il va suivre une formation pédagogique à Paris. Après avoir occupé plusieurs postes de remplaçant à travers la France, il est nommé à Tours en 1955 comme professeur plâtrier. Il enseigne le dessin industriel bâtiment.

Parallèlement à ces différents engagements professionnels, Jean Soury, enfant de la résistance, reste un militant syndical et politique très actif. En pleine guerre froide, il participe avec le Mouvement de la Paix - dont il a été membre du Conseil national - et l’Appel des Cents à rassembler les français contre le danger d’un conflit nucléaire. Cela le conduira dans les années 67 - 73 à être candidat aux élections législatives, puis permanent à la fédération d’Indre et Loire du Parti communiste Français, comme responsable du travail du Parti à la campagne. Il est membre de la section agraire du Comité Central du PCF.

En 1968, Jean intègre les services de la Mairie de Saint Pierre des Corps pour s’occuper un temps de l’information municipale auprès de Jacques Vigier avant de reprendre son métier dans le bâtiment au sein des services techniques comme Chef de travaux. C’est cette fonction qu’il occupera jusqu’ à sa retraite en 1988.

Voilà l’histoire vite résumée de la vie bien remplie d’un honnête homme qui, à la sortie de l’enfance, est entré dans l’Histoire pour contribuer à la libération de son pays, au risque de sa vie. A ce titre il recevra en 2009 la médaille militaire, et sera enfin nommé par décret du Président de la République du 30 octobre 2019 dans l’ordre de la Légion d’honneur.

J’ai passé deux après-midi passionnants avec Jean pour préparer cette cérémonie. Je lui ai demandé de me raconter. Son récit m’a permis de mieux percevoir ce que fut la résistance, le maquis, en France, pendant la deuxième guerre mondiale.

Les mots me manquent pour exprimer ce que signifient pour moi cet engagement, ces actes de courage.

Ce sont ces résistants qui dans la déroute et les heures sombres que traversait notre pays, celui des droits de l’homme, ont redonné à la France sa dignité en faisant en sorte que son peuple participe activement à sa libération.

Et c’est de cette mobilisation, de cet engagement qu’est né l’esprit de la résistance, le Conseil national de la Résistance, et son programme, qui allait ouvrir la voie à de grandes avancées sociales et démocratiques telles que le droit de vote des femmes ou la sécurité sociale.

C’est ce que vous avez fait, toi Jean, avec tant d’autres, qui a rendu cela possible. « Les jours heureux » qu’ont connus les gens de ma génération, nous vous les devons.

Vous êtes rentrés dans l’histoire, vous avez fait l’histoire. Il n’est pas étonnant que la littérature, le cinéma, la chanson aient autant célébré et célèbrent toujours la résistance. Il n’est pas étonnant non plus que tout le monde s’en réclame, fusse au prix de l’imposture.

Jean, tu en fus le témoin et l’acteur, comme dans les films, et c’est un grand honneur pour moi de te remettre la plus haute distinction de la République.

Te permettre enfin aujourd’hui de porter à ta boutonnière le ruban rouge, c’est aussi la réparation d’une injustice, celle de ne pas avoir pu le porter depuis la libération.

JEAN SOURY, AU NOM DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, ET EN VERTU DES POUVOIRS QUI NOUS SONT CONFERES, NOUS VOUS FAISONS CHEVALIER DE LA LEGION D’HONNEUR !

La remise de la Légion d'honneur

L’émouvante accolade entre Jacques Marsaud et Jean Soury

Jean Soury très ému après la remise de la Légion d’honneur

 

L’assistance debout a rendu hommage à Jean Soury

 

 

Allocution de Jean Soury

 

 Je tiens à vous remercier toutes et tous de votre présence. Si vous le permettez, je voudrais en ce jour assez mémorable pour moi, avoir une pensée pour ma famille, pour mon épouse qui nous a quitté voilà maintenant 11 ans, une pensée pour ma fille ainée qui n’est plus là non plus, pour mon fils qui est dans un EHPAD, pour mon autre fille qui vient d’être opérée d’un triple pontage, pour mon autre fils qui a été opéré de la colonne vertébrale, et enfin pour mes parents qui sont partis bien jeunes. Ils étaient des Résistants, mon père était sous-lieutenant dans les FTP, grade qui fut homologué par l’armée. Outre ses autres décorations, on lui avait décerné la Croix de Guerre.

 Je regrette profondément que mes enfants, petits-enfants et toute ma famille n’ait pu partager ce moment, ils sont trop éloignés pour venir jusqu’à Tours. J’ai ici présent mon fils Christian et mes petites filles Clara, Valentine et Angélique dont l’ami est absent car de service toute la journée

Je voudrais associer, à cette distinction qui m’est attribuée, mon père bien sûr, mes chefs et mes camarades morts au combat ou partis trop tôt. Ils l’auraient eux aussi bien méritée. Et puis je voudrais décerner ma Légion d’Honneur à cette jeunesse, filles et garçons qui se sont engagés aux côtés de leurs ainés dans le combat pour libérer la Patrie. Cette jeunesse pour qui la guerre ne fut pas seulement le temps des privations, des interdictions, des couvre-feux, mais fut bel et bien un temps d’engagements, poussé parfois jusqu’à la mort.

En somme, pour moi, avec cette distinction qui m’est attribuée, c’est toute la Résistance qui est Honorée.

Entre 1940 et 1944, la France a été plongée dans les ténèbres. Dans cette nuit qui a d’abord envahi sa zone occupée, puis sa zone dite libre.

Cette ombre et cette nuit furent à la fois terribles et lumineuses. Les ténèbres s’épaissirent autour des crimes, des persécutions, des cachots, des camps du nazisme et de l’extermination. L’ombre des délations, des trahisons et des collaborations. L’ombre du rationnement, de la faim, du froid, des files d’attentes, des couvre-feux et du marché noir. L’ombre des rafles. L’ombre des coups, l’ombre des cris, l’ombre de la torture et des exécutions.

Les ténèbres protégèrent aussi les résistants, justement nommés « les combattants de l’ombre ». L’ombre des secrets, l’ombre du silence, l’ombre de l’exil, l’ombre des parachutages et de la clandestinité. L’ombre des sacrifiés. L’ombre discrète des justes devant les nations. L’ombre des disparus sans tombe.

Ce fut cela notre guerre à nous, mais nous avons laissé un héritage qui ne fut pas que des mots, un héritage avec son mode d’emploi : un Programme novateur.

L’héritage de la Résistance, c’est la prise en compte de valeurs pour lesquelles nous avons combattu et qui ont toujours leur place dans notre société aujourd’hui.

L’exemple offert par les femmes et les hommes de la Résistance est également, en soi, une valeur citoyenne à transmettre aux générations présentes et futures. Face à la barbarie, nous avons été et nous resterons toujours des exemples.

Je dis cela pour bien faire comprendre que les hommages que l’on a rendu à chacun d’entre nous ne peuvent se comprendre que dans le combat de ces femmes et de ces hommes pour la liberté, les droits de l’homme et la paix

Depuis cette époque, plus de 76 ans se sont écoulés, la presque totalité des Français n’ont pas connu, ou n’était pas en âge de comprendre les évènements de la période de l’occupation et de la Résistance. C’est pourquoi je tiens à apporter ces quelques éléments pour montrer que mon histoire c’est aussi l’histoire de toutes celles et de tous ceux, décorés ou non, engagés dans la Résistance.

Pour la majorité de nos concitoyens, parler de guerre c’est parler de confrontation d’une ou de plusieurs nations qui s’affrontent sur terre, sur mer et dans les airs avec un armement classique, artillerie, chars, avions, navires de guerre, missiles, etc. Des engins de mort de plus en plus sophistiqués.

Essayez d’imaginer, de 1940 à 1944, au cœur d’une France occupée et dominée par l’armée hitlérienne, alors que le vieux maréchal Pétain et le gouvernement de Vichy collaboraient avec le fascisme. Il n’était pas facile, dans cette France quadrillée par la Gestapo et la Milice, de choisir les chemins qui mèneraient à la victoire et au rétablissement des libertés.

Pour les générations d’aujourd’hui, il faut faire preuve de beaucoup d’imagination pour bien comprendre le sens et les difficultés d’une action clandestine devenue indispensable, mais terriblement dangereuse, face à un ennemi qui n’avait plus rien d’humain ; d’une action militaire aux méthodes déroutantes pour qui n’a connu ou étudié que les batailles classiques d’autrefois.

Les premières actions, ça été d’abord de renouer les fils de la solidarité et de la lutte,de renouer les contacts sûrs pour agir, se cacher en vue de l’action. Nous subissions la pression idéologique du fascisme. C’est pourquoi la première bataille à mener fut celle des idées, de la prise de conscience de l’impérieuse nécessité de convaincre ses semblables de ne pas accepter la servitude. Porter des messages, être agent de liaison, distribuer des tracts, transporter des armes, servir de boite aux lettres, cela était devenu des actions courantes pour cette jeunesse. Je fus aussi de ceux-là. Toutes ces actions n’étaient pas sans risques, on sait que la jeunesse paya très cher son engagement dans la Résistance. A la distribution des hommages, elle n’en fut pas toujours bien récompensée.

Ensuite, il fallut frapper l’ennemi, trouver des armes et des explosifs, faire parler la dynamite, dans une lutte tellement inégale…

C’est qu’il est bien difficile, quand on a l’habitude d’évoquer, pendant des décennies, la Marne, Verdun, la vie dans les tranchées, d’imaginer que pendant des années, la guerre peut être partout, qu’elle rôde aux portes des fermes, dans les chemins creux, dans les couloirs des immeubles ; qu’elle éclate çà et là dans les forêts, aux carrefours des routes, sur un quai de gare ; qu’elle frappe le soldat sans uniforme derrière son arme, le bébé dans son berceau, l’enfant qui garde son troupeau, la ménagère qui apporte la soupe sur la table, le vieillard tranquille qu’une dénonciation infâme envoie aux chambres de torture ; le bourg paisible qui devra être rayé du monde des vivants, par le fer et le feu…

Car aux blessures et à la mort reçues dans les guerres « traditionnelles », s’ajoutent les pillages, les prises d’otages, les tortures, les assassinats, les massacres comme à plaisir de tout ce qui a figure humaine, les raffinements de cruauté et de sadisme que l’on n’aurait osé imaginer quelques années auparavant.

Dangereuse était cette bataille si nécessaire ! Loin de se soumettre au STO, aux lois scélérates de Vichy, les patriotes choisirent le chemin de l’honneur. Mais la lutte était bien périlleuse ; dans des conditions extrêmement difficiles, les maquisards durent apprendre à affronter l’une des meilleures armées du monde : la Wehrmacht et ses redoutables divisions.

Refuser le combat quand on se sentait en infériorité et disparaître comme la goutte de mercure, provoquer l’ennemi dans des embuscades choisies et lui asséner de véritables coups de boutoir lorsqu’il s’y attendait le moins, puis se disperser pour se rejoindre plus loin et réattaquer.

Je dirai simplement que depuis la fin de la guerre 14-18, pendant un siècle, que ce soit au niveau de l’Etat, des médias et dans l’ensemble de notre enseignement, on a très largement parlé, commenté et dispensé ce qu’a été cette guerre totalement inhumaine des tranchées, et ce fut très bien ainsi. Ce que nous aurions souhaité, ce que nous aurions voulu, anciens combattants de la résistance, c’est que l’on ait fait la même chose pour la guerre 39-45.

Si cela avait été, soixante-quinze ans après la fin du conflit le plus meurtrier de notre histoire, la mémoire devrait être intacte ou presque. Pour le temps qui passe et pour l’arrivée des nouvelles générations, l’Histoire aurait obligation de se transmettre afin d’informer les jeunes esprits nés loin de la tourmente, des causes et des conséquences de la Seconde Guerre Mondiale.

Après la victoire sur le nazisme le 8 mai 1945, parler de la Résistance c’était évoquer plus particulièrement des faits et des témoignages des grandes figures de l’histoire.    

Il aura fallu 69 ans pour que la Résistance obtienne enfin sa Journée commémorative, le 27 mai de chaque année, jour de la création du Conseil National de la Résistance. Elle a surtout été créée pour la jeunesse, pour nos établissements scolaires.

Je sais que les journées commémoratives ne manquent pas. Tout de même, une fois l’an, dans chaque établissement scolaire, une heure, ne serait-ce qu’une heure, consacrée à cet héritage, une heure de participation à une « Journée de la Résistance et de la citoyenneté », ce serait bien, ce serait même très bien

Mais nous n’en sommes pas là.

A la libération du territoire, la guerre n’étant pas encore terminée, notre principale préoccupation ne fut pas de rechercher des témoignages, des certificats d’héroïsme en vue de décorations futures. Nous devions penser à notre avenir, à trouver du travail. Ce fut pour beaucoup d’entre nous une situation difficile. Le temps de la libération passé, nous avons vécu une curieuse période qui se passa avec des excès : l’orgueil des uns, la cupidité des autres, les compromissions nombreuses pour d’autres, tout cela laissait planer un climat de méfiance, de tensions.

Quel dommage. Tout cela aurait dû nous rassembler, ce fut le contraire qui se produisit. Il y avaient les résistants de la dernière heure qui avaient tout fait et ceux qui tentaient de justifier leur attentisme en nous salissant. Alors que la vie politique renaissait de la clandestinité, c’est l’ensemble de la Résistance qui dut subir des attaques de toutes sortes, notamment par une violente campagne de discrimination, menée par des partis et hommes politiques, et par d’autres qui avaient collaboré avec l’ennemi ou qui avaient eu un comportement plus ou moins douteux avec le régime de Vichy. Tout ce petit monde bénéficiant de la complicité d’une certaine police et de l’appareil judiciaire qui avaient échappé à une épuration insuffisante et mal faite. Il fallut à l’époque une amnistie générale du parlement pour arrêter les poursuites en direction des résistants.

Certains de mes chefs firent de la prison. En ce qui me concerne, les renseignements généraux de Limoges se sont déplacés en Touraine à trois reprises pour me faire subir des interrogatoires. Ils avaient des photos en leur possession ce qui prouve qu’il y avait dans nos rangs, à l’époque, des camarades qui prenaient beaucoup de risques avec la sécurité des autres alors que nous étions dans la clandestinité.

De cette époque, il reste encore dans les chaumières, selon les régions, des survivances de cette campagne. Cela se traduit par des on-dit, des rumeurs qui persistent et auxquelles nous, les anciens combattants de l’ombre encore vivants, devons répondre pour défendre l’honneur de nos camarades et celui de le Résistance.

Mes chers amis, pour compléter ce que Jean Maurice et Jacques vous ont dit, après vous avoir parlé de ma modeste contribution à la libération de notre pays, avoir combattu le nazisme et avoir participé à la Résistance, avoir fait partie de cette grande armée populaire qui s’est trouvée au cœur de la France et qui a libéré, seule, un vaste territoire, je vous dirais que ce passé reste la fierté de ma vie.

Devant vous aujourd’hui, j’ai juste tenté de vous retracer, à mon modeste niveau, quelques aspects de ces pages glorieuses d’une exaltante épopée, parfois écrites en lettres de sang et qui restent encore de nos jours trop méconnues de notre jeunesse et de l’ensemble de nos concitoyens.

Bien des nostalgiques de Vichy et de la collaboration ont voulu effacer ces traces indélébiles d’un peuple en marche pour la Liberté… Ils ont échoué. L’histoire de la barbarie nazie aura laissé trop de drames, de traces de sang versé de patriotes, de victimes innocentes sur des lieux de supplices, dans nos villes, au cœur de nos forêts, dans nos villages, dans ces camps ou chaque être humain était condamné à mourir.

La Résistance, quand elle est contée, passionne toujours autant la jeunesse. Le danger vient de la méconnaissance de l’histoire de la 2ème guerre mondiale, ce qui a comme conséquence tout simplement d’accroître le pire des maux d’aujourd’hui, c’est-à-dire l’oubli. Après la victoire sur le nazisme le 8 mai 1945, trop de générations sont passés à côté de l’histoire.

Pour clore mon propos, je ne peux m’empêcher de vous citer ces quelques mots écrits par un historien de ma Région sur ce que l’on a appelé les « Combattants de l’ombre ». Je cite : « Ils n’étaient point des soldats, ils le devinrent ».

« Et la mission accomplie, ils s’en retournèrent à leurs tâches habituelles, modestes, discrets… Ils n’étaient pas des héros ; ils étaient des hommes ! Tout simplement ».

« Alors que la France, plongée dans la plus épouvantable défaite de son histoire, s’abandonnait au culte du Maréchal et s’accommodait de la férule nazie, des hommes et des femmes, refusant la fausse évidence de la défaite, entreprirent le chemin de l’honneur ».

« Des musées, quelques plaques parfois, des tombes souvent, rappellent leur souvenir ».

« Mais ces hommes et ces femmes vivent surtout par la trace qu’ils nous ont léguée, dans nos cœurs comme dans nos consciences, parce qu’ils enseignent, par la vertu de l’exemple, les hautes mais douloureuses exigences de la citoyenneté ».

 

NB: Photos de Pierre Carreau, vice-président départemental de l’ANACR d’Indre-et-Loire.

Remerciements à Jean-Maurice Pialeport de l'ANACR d'Indre-et-Loire pour son aide précieuse à la rédaction de cet article.

 

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