L'avenue Charles-Bedaux "homme d'affaires" se trouve près du boulevard Louis XI dans la zone du Menneton. © NR

 

Dans son édition du 8 octobre dernier  la Nouvelle République  annonçait qu'une avenue de Tours allait être débaptisée en titrant  "Tours : l'avenue au nom d’un collabo débaptisée".

L'avenue Charles Bedaux portera dorénavant le nom de Marie-Thérèse Voisin, déportée résistante.

Le conseil municipal a souhaité réparer une erreur de plus de cinquante ans.

En effet la délibération pour baptiser cette avenue date du 11 juillet 1966. Elle a été prise pour honorer les travaux sur l’organisation du travail de Charles Bedaux, ainsi que l’a écrit le maire de l’époque, Jean Royer.

 

Charles Bedaux

 

Charles Bedaux, est passé de la pauvreté à l’extrême richesse en devenant le 5ème homme le plus riche des Etats-Unis en 1934, en commercialisant une méthode pour rendre les travailleurs plus productifs.

Sa fortune lui permet d'acheter en 1927  le domaine de Candé.

Dans les années 30, Bedaux commença à travailler étroitement avec les nazis, qui, pensait-il, représentait l’avenir et la meilleure défense contre le Communisme international et les agitations des travailleurs. Il sera finalement arrêté par les autorités françaises le 5 décembre 1942, en Afrique du Nord, qui le remettent aux autorités américaines. Il est placé en résidence surveillée.

Soupçonné d’espionnage au profit des nazis, il est transféré aux Etats-Unis en décembre 1943. Il est finalement retrouvé « suicidé » dans une prison de Miami en 1944.

Bedaux continua d’être controversé après sa mort. En 1945, le « New Yorker Magazine » lui consacre une série de trois articles, qui le dépeignent comme un collaborateur. Au même moment, le gouvernement français du Général de Gaulle, après  un examen détaillé, lui accordait, à titre posthume, la Légion d’Honneur.

Marie-Thérèse VOISIN une femme de caractère

 

On ne peut pas retracer le parcours de Marie-Thérèse Voisin sans évoquer son mari Antoine Voisin.

 

En cette fin de guerre 14/18 la famille  de Marie-Thérèse décident de quitter Paris bombardé par les allemands, pour aller se mettre à l'abri en Auvergne, plus exactement dans le Puy de Dôme, aux racines de la famille Malapert.

La famille est très bien accueillie et s'installe à Dore l'Eglise.

Et c’est là que naît Marie-Thérèse, dans la nuit du 10 au 11 novembre 1918.      

Marie-Thérèse a trois mois quand la famille repart pour la capitale. Plus tard on l'appellera Thérèse.

A seize, dix-sept ans, Thérèse entre dans une organisation : « Les Jeunes Filles de France » dont la responsable est Danielle Casanova.

En réponse aux événements qui se passent en Allemagne, c'est l’arrivée de la violence, des grandes bagarres et Thérèse en est. Les fameux soirs des six et neuf février 1934, quand près de la chambre des députés, les socialistes de l’époque rejoignent le Parti communiste et qu’ils se battent ensemble contre les fascistes, les cagoulards d’extrême-droite, les Croix de Feu . Thérèse en est aussi.

Elle va à toutes les manifs avec ses amies des "Jeunes filles de France" et aussi, parfois avec sa maman.

 

Naissance d'un couple     

 

Le premier Mai 1937 est un grand jour. Au cours de ce grand défilé, la classe ouvrière parisienne clame sa joie des premiers acquis sociaux qu’il faudra continuer à défendre, et même améliorer. Thérèse   participe à cette manifestation avec son groupe des Jeunes Filles de France. C'est là qu'elle rencontre Antoine Voisin qui manifeste avec son groupe des Jeunesses Communistes.

Antoine tombe sous le charme de Thérèse. Antoine a 24 ans.

 

Antoine et Thérèse en 1937 à Paris

 

Antoine et Thérèse s'installent dans un petit appartement .

Devant les difficultés à vivre à Paris ils partent s'installer à Tours. Elle est enceinte. En novembre 1938, elle donne naissance à un garçon.

Le couple vivra un drame en perdant cet enfant. Ils auront deux autres enfants un garçon et une fille.

 

Antoine entre à la C.I.M.T (Compagnie Industrielle de Matériel de Transport) à St Pierre des Corps, où il est mieux payé et a enfin un emploi fixe et sûr.

Thérèse et Antoine voient  arriver les premiers Allemands, qui s'installent  sur le quai Paul Bert.

C'est chez un copain des Eclaireurs de France qu'Antoine rencontre Jean Guillon, alors jeune professeur. Il comprend très vite qu’il a affaire à un gars raisonnable et sachant organiser un travail clandestin. Le 1 avril 1941, Thérèse et Antoine adhèrent au groupe Colbert du Front National constitué à partir de la cellule du parti communiste du quartier.

 

Pour Thérèse, Antoine et leurs amis, les débuts sont difficiles, cela commence par des tracts qu’ils reçoivent et qu’ils plient avant d’aller  les glisser sous les portes ou dans les boîtes à lettres. Il arrive  aussi qu'ils collent des étiquettes écrites en rouge, qui demandent du lait pour les enfants et les vieux ou du charbon pour les pauvres et les écoles. Ils rédigent même des tracts en allemand et collent des affiches.

 

La répression, venant aussi bien des collabos français que des nazis, s' installe à Tours dans le seul but de faire peur à la population, lui enlever l’idée de refuser la présence allemande, appeler à la collaboration et, bien sûr, freiner la résistance

Nous sommes en février 1942, une dame du quartier vient avertir Thérèse que la police est à leur  recherche. Thérèse cache tout ce qu'elle peut (affichettes, tracts...).

 

Les policiers arrivent et fouillent la maison en présence d'Antoine; Ils ne trouvent rien. Ils subiront trois perquisitions.

Thérèse et Antoine continuent à distribuer des tracts, et à préparer des sabotages.

La répression s'accentue, de nombreux résistants sont arrêtés dont Jean Guillon. Thérèse et Antoine sont sur leur garde.

 

Malgré leur précaution Antoine est arrêté le 4 août 1942. Il se retrouve à la prison de Tours. Il est ensuite transféré à Compiègne d'où il part le 24 janvier 1943 (convoi I.74). Il restera au  camp d'Oranienbourg-Sachsenhausen du 26 janvier 1943 au 14 juillet 1944 sous le matricule  58086.  Antoine passe ensuite par les camps de Dachau, Neuengamme.

 

Pendant ce temps Thérèse  change de prénom elle s'appelle dorénavant Arlette. Elle reçoit des camarades chez elle, et continue à distribuer des tracts.

Le 5 avril 1943 Thérèse est arrêtée à Tours. Elle est emmenée au commissariat central, situé derrière la mairie. Elle fera deux tentatives d'évasion mais sera reprise à chaque fois.

Sa belle-mère Julia est  aussi arrêtée. Elle avait réussi dans son secteur à monter un petit groupe qui distribuait des tracts.

Les deux femmes sont transférées à la prison d'Orléans, où elles resteront jusqu'au jugement du 11 septembre. Elles sont condamnées  à 11 mois de prison.

En février 1944, Thérèse et  Julia sont transférées avec d'autres détenues à Châlons- sur Marne.

 

Le 1er mai, les détenues montent dans des camions direction Romainville.               Quelques jours après c'est le départ en cars direction la gare. Un train les attend pour les embarquer vers l'Allemagne.

Après plusieurs jours et nuits de cet interminable voyage, le convoi, parti de Romainville le 13 mai 1944, avec 705 prisonnières arrive enfin, et après bien des arrêts, dans l’enfer du camp de Ravensbrück le 16 Mai au block 15.

Thérèse Voisin devient le matricule 39117 et  Julia devient le matricule 39139.

 

A cette date le camp de Ravensbrück est un camp de travail. Les déportées sont louées entre autre pour les travaux de terrassement ou comme ouvrières dans les usines.

C'est l'enfer mais Thérèse tient le coup.

Un matin, les SS font un appel des Françaises. Thérèse fait partie d'un transport pour un autre camp.

Ce nouveau camp est, en fait, un commando de Ravensbrück du nom de Zvodâu, en Tchécoslovaquie. Il y a une grande usine en plein centre d’un grand bourg.

Thérèse travaille sur une énorme machine et apprend à faire des contrôles de pièces.

En septembre 1944, c'est un nouveau transfert vers un camp du nom de Graslitz , un commando de Zwodau rattaché au camp de Flossenbourg.  Thérèse reçoit un nouveau matricule 57575.

Julia décède le 6 mars 1945 à Ravensbrûck.

Devant l'avance de l'armée russe, les camps se vident. C'est la panique dans le camp. Les déportées ne travaillent plus. Thérèse en profite pour s'évader avec une copine. Après avoir erré dans la campagne de cache en cache, elles tombent sur des  soldats américains. On est le 7 mai 1945. Elles sont en Tchécoslovaquie quand elles apprennent que la guerre est finie.

Elles sont ensuite emmenées en camion et traversent une grande partie de l’Allemagne. Elles prennent un train et arrivent à Paris à l'hôtel Lutétia. Thérèse retrouve sa famille (oncle et nièce). Elle a enfin des nouvelles d'Antoine. Elle apprend qu’il est très faible et très bien soigné dans un hôpital, en Belgique. Antoine a été libéré le 29 avril 1945 à Sandbostel camp de prisonniers de guerre et camp de concentration, situé entre Hambourg et Brême. Il a été rapatrié en France par avion. Il est passé par l'hôtel Lutétia puis est rentré en  train pour Tours.

Thérèse quitte Paris  pour Tours. Un ami rencontré à la gare  l'emmène chez la famille Despouy qui a recueilli  ses enfants.

Arrivée presque sur le seuil de la maison, les gosses la voient descendre, Les deux enfants sont  figés sur place. Alors ils courent et la serrent très fort, c'est plein de gros bisous de ses deux gamins qui lui font oublier tout le reste.

 

 

Thérèse  retrouve Antoine  à l'hôpital, il est  en très mauvais état physique.         Quelques temps après  Antoine, Thérèse et leurs deux enfants  sont enfin réunis.

Le bonheur n'est pas total,  Antoine et Thérèse vivent un moment très difficile en constatant que le corps de leur enfant décédé a été exhumé et déposé dans la fosse commune.

Par la suite, arrive un autre enfant, et Thérèse est très heureuse. Antoine reprend un travail non sans difficulté. Il s'occupe de l'ANACR et de la FNDIRP où il est très longtemps trésorier,  puis des amicales d'anciens déportés des camps par où il est passé.                                                                                                                            De son côté, Thérèse milite toujours au Parti , aux  Femmes Françaises  ainsi qu'a

la FNDIRP et à l'Amicale des anciennes de Ravensbrück.

Antoine et Thérèse auront par la suite deux autres enfants. 

 

Antoine et Thérèse avec leurs cinq enfants.


Antoine Voisin est décédé en août 1986. Thérèse Voisin est décédée en août 2008.                                                         

Ce fut un grand honneur pour la FNDIRP, de compter parmi ses adhérents ce couple exceptionnel qu’était Antoine et Thérèse Voisin.

Tous nos remerciements  à Gérard, fils  d’Antoine et Thérèse de nous avoir confié les documents de sa famille, pour nous aider à rédiger cet article.

                                                              

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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