« Von Braun » : de l’enfer de Dora jusqu’à la Lune

18 févr. 2021

Von Braun (à gauche) avec le président américain John Kennedy et son vice-président Lyndon B.Johnson, en 1961

Source : https://www.lanouvellerepublique.fr/

Publié le 18/02/2021 à 06:25 | Mis à jour le 18/02/2021 à 06:25

Dans une BD, Robin Walter retrace le destin de Von Braun, directeur nazi du camp de concentration de Dora, devenu héros de l’espace aux États-Unis.

Robin Walter, auteur de la BD « Von Braun » parue le 27 janvier

Robin Walter relate, dans sa BD Von Braun, l’histoire méconnue du directeur nazi du camp allemand de Dora dédié à la fusée V2, ingénieur récupéré par les Américains en 1945. Et répond à la question posée par Norman Mailer, en 1970, dans son ouvrage Bivouac sur la Lune : oui, le voyage de l’homme sur la Lune, en 1969, était l’œuvre du diable !, clame Laurent Thiery, directeur scientifique du Centre d’histoire et de mémoire La Coupole, à Saint-Omer (Pas-de-Calais).

En 1945, Von Braun se vend aux Américains

L’auteur du récent dictionnaire biographique, Le livre des 9.000 déportés de France à Mittelbau-Dora, signe la préface de la bande dessinée Von Braun (1), prolongement par Robin Walter de son album KZ-Dora, où il mettait en scène son grand-père déporté pour relater l’histoire de ce terrible camp d’extermination par le travail. « Cette fois, avec en toile de fond l’enfer concentrationnaire de fabrication du missile V2 à Dora, j’ai dressé le portrait de son inventeur Wernher von Braun (1912-1977), directeur du camp, à la fois génie scientifique et nazi opportuniste, résume Robin Walter. Von Braun avait compris que seule la guerre pouvait concrétiser ses rêves, mais sa célébrité acquise outre-Atlantique avec son équipe d’ingénieurs allemands, en permettant aux Américains de poser le pied sur la Lune, a toujours fait de l’ombre aux horreurs de Dora ! »

De la Terre à la Lune

Le 3 octobre 1942, après le premier tir réussi d’une fusée A4, le régime nazi décide de produire en série ce missile « prometteur ». Arthur Rudolph, le responsable de la production à Peenemünde va faire sortir de terre Mittelwerk, véritable complexe souterrain militaro-industriel afin de fabriquer la fusée V2, de 1943 à 1945, en utilisant la main-d’œuvre concentrationnaire de Mittelbau-Dora. Les déportés vivent alors dans des conditions d’hygiène et de violence effroyables. La suite, Robin Walter la raconte : « En 1945, en pleine guerre froide avec l’URSS, son directeur Von Braun se vend aux Américains avec une centaine d’ingénieurs, dont Arthur Rudolph. C’est l’opération de récupération des cerveaux allemands Paperclip, poursuit Robin Walter. Von Braun fut même naturalisé américain. Il a d’abord été responsable du programme des missiles balistiques de l’armée à Huntsville, dans l’Alabama, avant de faire carrière à la Nasa, popularisé notamment par Walt Disney avec qui il réalisa un grand nombre de films sur le programme spatial américain. »
Vingt-cinq ans plus tard, en 1969, le monde entier s’enthousiasmait de voir le premier pas de l’homme sur la Lune, sans se douter que l’histoire « piétinait » en même temps la mémoire des 20.000 prisonniers (sur 60.000 déportés), exterminés à Dora pour fabriquer en série la fusée V2. Cet « ancêtre » des premiers missiles balistiques américains et du lanceur spatial Saturn V permit le développement des missions lunaires du programme Apollo de la Nasa. « Le récit de Robin Walter impose comme une évidence la nécessité de rappeler que, non, même les plus belles heures d’une vie consacrées à un projet – qui marqua profondément l’histoire de l’humanité – ne peuvent effacer le pire des crimes », insiste Laurent Thiery qui regrette la « double peine » indélébile infligée aux déportés survivants. Von Braun, dénué de toute compassion, a toujours balayé son passé nazi. Et l’Amérique est restée dans la Lune…
(1) Des ronds dans l’O, 184 p., 22 €.