Départ pour un sabotage du maquis D2 Bayard (Sud-Vienne et Civraisien), été 1944.
© (archives NR )

 

Source : https://www.lanouvellerepublique.fr/vienne/commune/civray/livres-l-epopee-des-maquis-au-jour-le-jour-et-en-images

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Dans un bel ouvrage concret, documenté et illustré, l’historien Fabrice Grenard raconte au jour le jour la vie au maquis. Sobre, libre, dangereuse et essentielle

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« L’Histoire ne se répète pas, elle bégaie. » Voyez l’Ukraine…

 

« Comparaison ne fait pas raison » nuance aussitôt Fabrice Grenard, Berrichon, spécialiste de la Résistance et auteur ces dernières semaines, chez Tallandier, d’un album richement illustré consacré au quotidien des maquis.

Aujourd’hui l’armée nationale ukrainienne s’arc-boute et tient bon. Une large partie de la population la soutient. À quelques opérations d’infiltration près, il n’existe pas de forces secrètes déployées sur le territoire occupé, opérant en clandestinité. Ni de camps militarisés d’où seraient projetés des commandos de patriotes.

Notre regard est conditionné par des stéréotypes alimentant la mémoire collective. Dans son ouvrage Fabrice Grenard les trie, les classe, les remet en ordre et en perspective. En images, surtout.

Trente-neuf millions de Résistants français au cours de l’été 44 ? Le Débarquement en Normandie le 6 juin et les premiers succès de la Bataille de France reboostent le moral national.

Les maquis font le plein après un hiver difficile. Mais les pertes sont à proportion des opérations se multipliant. En dépit des menaces de l’État vichyste déliquescent, tout un cérémonial patriotique s’affiche et accompagne les obsèques de ces combattants de l’ombre.

Processions pavoisées, salves d’honneur, allocutions vibrantes et risquées en périmètre à peine protégé. « À l’inverse, souligne Fabrice Grenard « lorsqu’un milicien du régime est abattu dans une escarmouche, les mises en scènes officielles traversent des villes et des villages déserts et claquemurés. »

 

Loi de la jungle

 

Quelques images, du Nord au Midi, fixent ce contraste. Au mépris du danger, des Résistants du Var rendent les honneurs à un jeune homme tué dans un coup de main contre un poste allemand. Drapeaux, cocardes improvisées. Nous sommes fin mai 1944, le basculement approche, il y aura des dérapages plus tard et des règlements de comptes. Tout fait défaut, sauf les armes à l’approche de la Libération, c’est tentant. « On peut liquider un fermier et sa famille pour une boule de pain, une paire de boucles d’oreilles » note l’historien. Il n’y a plus d’État ni de loi, sinon celle de la jungle pour certains.

Faux maquis, maquis noir, bandes organisées, ce chapitre sombre, en marge de la geste résistante, n’est pas occulté dans le livre. Il reste mineur et isolé. Trois années de lutte clandestine et de dangers contre l’Occupant sa police et ses relais français ont pu diluer certains repères. L’écrasante majorité des maquisards, concentrée sur des objectifs concrets et opérationnels, s’applique à se cacher et survivre pour se battre.

Les premiers camps ont surgi au cours de l’hiver 1942-1943. « Il s’agit d’initiatives locales et spontanées d’hommes voulant échapper au service du travail obligatoire (STO) en Allemagne » rappelle Fabrice Grenard. Quelques-uns jouent la carte individuelle et s’effacent dans la nature. D’autres préfèrent se regrouper. « Très vite s’organise une forme de vie cachée et collective. Elle échappe, au tout début, au contrôle des organisations de Résistance. On se débrouille comme on peut dans un univers rural. Les citadins n’y sont pas les mieux préparés. Mais dès l’été 1943 ces regroupements sont pris en main, structurés, organisés. Il s’agit de former des combattants opérationnels. » La traque et le harcèlement de la Milice, l’étirement du conflit affaiblissent cet élan. Mais dès juin 1944 une nouvelle énergie ressaisit le pays.

Des cadres militaires refusant la défaite encadrent les jeunes volontaires. Ils trouvent dans ces regroupements d’insoumis, des Républicains espagnols formés à la guérilla six ans auparavant. Les anarchosyndicalistes barcelonais et internationalistes composent avec des maurrassiens, catholiques traditionalistes. Les générations, les régions, les milieux sociaux et les convictions se confrontent, se brassent et s’agrègent, soudés contre l’occupant et les premiers coups de feu.
 

Tout paraît terne et fade après cette aventure

 

« Et tout ça, ça fait/D’excellents Français/D’excellents soldats/Qui marchent au pas/Ils n’en avaient plus l’habitude » chantait, prémonitoire, Maurice Chevalier à l’automne 39. L’amuseur au canotier a un peu dévié dans l’intervalle. Pas les maquisards qui inventent jour après jour un mode de vie solidaire, collectif, garantissant la sécurité de chacun.

Intransigeants sur la discipline, ces campements s’affranchissent de toutes les habitudes, routines et formalismes du quotidien. Cette vie neuve, dépouillée, un peu sauvage, tout entière tendue vers la liberté forge « une fraternité qui dépasse celle des tranchées ».

Une génération entière en est imprégnée qui après le tourbillon de la guerre cherche parfois ses marques, récuse les appareils et les hiérarchies au risque de se fourvoyer. Tout paraît terne, lisse et fade ensuite. C’est une autre histoire.

« L’odeur des bois, de champignons pourris, surtout quand tu as passé des nuits et des nuits à dormir à la belle étoile sur la mousse humide, elle te prend à jamais la tête. Tu ne l’oublies pas de toute ta vie ». La menace à chaque instant, aussi, pesant sur tous donc chacun et ramenant à une égalité vitale. Un demi-siècle plus tard, tout revient soudain à ce maquisard espagnol, arpentant des bois autrefois familiers.

Impossible de guérir de cette nostalgie frissonnante encore des dangers affrontés. Chaque matin se levant - leçon de courage renouvelée - était peut-être le dernier.

 

« Ils ont pris le maquis » Fabrice Grenard, Ed. Tallandier, 186 pages, 26 €.

 

RÉDACTION NR

 

Fabrice Grenard est un historien spécialiste de divers aspects de la Seconde Guerre mondiale en France. Il dirige actuellement le département recherche et pédagogie de la Fondation de la Résistance ( https://www.fondationresistance.org/ ).

 

Les livres de Fabrice Grenard (cliquer ici)

 

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