En septembre 1944, les jeunes scouts effacent les traces de l’occupation au palais de justice de Tours, siège de la Kommandantur. À la Libération, on condamne et on exécute les collaborateurs, dont des femmes.
© (Photo archives NR)

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L’historien Fabien Lostec a mis plus de six ans à écumer les archives de l’archipel judiciaire épuratoire pour arriver à ces chiffres : sur les 651 femmes condamnées à mort pour collaboration, 46 ont finalement été exécutées après la guerre.

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Quand on évoque « l’épuration, il y a toujours deux images qui viennent à l’esprit : les exécutions sommaires de collaborateurs et les femmes tondues » souvent en pleine rue.

L’historien Fabien Lostec s’est intéressé à la seconde et au fait que « le sort de ces femmes » soit systématiquement lié « au fait qu’elles auraient eu des relations sexuelles avec des Allemands ». Même si des travaux remettent en cause cette idée, « l’imaginaire collectif travaille et il est dur de le changer ».

Alors, en 2014, il se lance dans un tour de France des archives départementales – une soixantaine au total – « là où les femmes sont condamnées à mort, dans les cours de justice, les tribunaux civils installés à la Libération » mais aussi les tribunaux militaires. Il passe ainsi de longs moments au Blanc (Indre) au dépôt central des archives de la justice militaire. Il soutient sa thèse en 2020 et prend encore quelques années pour ramasser son travail en vue de la publication d’un livre.

Trouver les « gros poissons » de la collaboration

« L’idée était de prendre le contrepied. J’ai étudié l’épuration à travers l’archipel judiciaire épuratoire. En m’attaquant aux condamnées à mort j’espérais trouver les plus gros poissons de la collaboration. Pas les femmes qui avaient eu des relations sexuelles mais celles qui avaient collaboré politiquement, qui étaient convaincues de la victoire de l’Allemagne, qui ont servi dans le renseignement, qui ont torturé et tué pour les Nazi… Je voulais montrer qu’elles avaient été “ capables ” d’aller très loin et qu’on n’était pas que dans le sentimental ou le sexuel. »

Le deuxième élément qui a motivé Fabien Lostec c’est « qu’on ne savait pas exactement combien de femmes avaient été condamnées à mort. Surtout, il y avait une forme de légende qui disait que le général de Gaulle – et il le disait lui-même – les avait toutes graciées ».

Ce n’est pas tout à fait exact. S’il les gracie effectivement toutes, lorsqu’il s’absente fin 1944 pour se rendre quelques semaines en URSS, il laisse son droit de grâce à son ministre d’État Jules Jeanneney qui n’est pas aussi catégorique. Pas plus que les super préfets nommés sur le territoire. « À son départ du Gouvernement provisoire de la République française en 1946, le premier président de la IVe République, Vincent Auriol aura des dossiers et il ne graciera pas toutes les femmes. »

Un total de 46 femmes exécutées sur 651 condamnées à mort

À force de recensements, Fabien Lostec arrive à un total de « 46 femmes exécutées, dont une pour crimes de guerre. Cela peut paraître marginal mais en fait on n’avait jamais vu autant d’exécutions en aussi peu de temps depuis la Révolution française. » Elles font partie d’un « ensemble plus de large de 247 condamnées à mort de manière contradictoire (face à un juge). En prenant en compte les peines de mort par contumace, on arrive à un total global de 651 condamnées à mort. La dernière femme à être jugée pour des faits de collaboration l’a été en 1948 et exécutée début en 1949. »

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Même s’il y a eu un débat avec ses aînés au moment de l’élaboration de sa thèse, Fabien Lostec a décidé de ne pas anonymiser les condamnées. « Mon objectif était de reconstituer des parcours. Ce sont ces parcours qui font sens. » Les comptes rendus de procès le lui permettent : durant la guerre, pendant l’exil de certaines et leur retour en France après les lois d’amnistie du début des années 1950.

Reste néanmoins un biais incontournable : la justice à ce moment-là est exclusivement rendue par des hommes. « Quand vous lisez les dossiers judiciaires, ce sont les hommes qui jugent les femmes. Ils s’intéressent aux faits graves mais ils vont aussi plus loin sur la vie privée et sexuelle. Ce que vous ne verrez jamais dans un dossier d’hommes. Il ne suffit pas que ces femmes collaborent, il faut qu’elles soient hors normes, à la vie sexuelle dévergondée et dégradée », note Fabien Lostec.

À l’inverse, Fabien Lostec a retrouvé également une série d’affaires où des accusées utilisent les préjugés du genre comme « des arguments : “ j’ai suivi mon mari, j’étais amoureuse, je n’ai pas tout compris de la politique ”… Certaines ont cherché à user de la prétendue la naïveté des femmes qui n’avaient pas droit de vote ou étaient peu présentes dans les organisations politiques. Mais évidemment que cela ne marche pas quand les faits sont trop graves. »

« Condamnées à mort, L’épuration des femmes collaboratrices, 1944-1951 » par Fabien Lostec aux éditions du CNRS, 400 pages, 26 €.
 

Olivier PIROT

Journaliste, service des informations générales, Tours

 

 

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